« Zéro de conduite » : quand les enfants se révoltent
Librement inspirée du film éponyme de Jean Vigo, l’histoire prend place dans une colonie de vacances où les moniteurs sont aussi ennuyants qu’incompétents. La lassitude est palpable chez les enfants, qui cherchent tant bien que mal à s’amuser dans ce camp inhospitalier. Entre chaque scène, la salle complète est plongée dans la noirceur, ce qui fait ressentir à l’auditoire cette monotonie angoissante. L’esthétique de la pénombre et l’environnement sonore inquiétant enveloppent le spectateur et le plongent, lui aussi, en plein de cœur de la forêt. On sent que l’équilibre précaire du camp basculera sous peu…
C’est lors d’une soirée musicale autour du feu que l’ordre établi est renversé. Une situation relativement anodine prendra rapidement des proportions démesurées en raison de l’irascibilité de la directrice du camp. C’est l’étincelle qui poussera les enfants à se rebeller contre son autorité malsaine. La révolution éclate dans une prise de pouvoir des plus fascinantes à observer.
Libérés de toute contrainte, les enfants laissent cours à leur ressentiment et s’en donnent à cœur joie pour saccager la salle commune du camp. Coups de sifflet, musique électronique, spaghettis lancés sur les lumières, batailles d’oreillers avec les spectateurs et graffitis sur les murs : c’est une véritable catharsis. Pour une fois, le pouvoir leur appartient et ils en profitent pleinement, pour la plus grande satisfaction des spectateurs !
La rencontre avec les artistes
À la suite de la représentation, les étudiants ont eu l’occasion de rencontrer le metteur en scène Jérémie Niel, la dramaturge Évelyne de la Chenelière, la coach des enfants Antonia Judith Hayward ainsi que quatre des six enfants-acteurs. Cet échange convivial a permis de mieux comprendre le processus derrière le coaching des enfants, qui en sont, pour la plupart, à leur première expérience sur scène. Toutefois, les adultes de l’équipe considèrent les enfants comme de véritables collègues acteurs.
« On leur donne des rétroactions franches sur leur performance de la veille, on leur parle comme s’ils étaient des adultes. » -Jérémie Niel
Les enfants sont conscients d’avoir chacun des responsabilités clés desquelles ils doivent s’acquitter afin que le spectacle puisse prendre vie. D’ailleurs, enfants et adultes ont participé activement au processus créatif. À partir d’un canevas très général, les acteurs ont improvisé et tissé l’histoire. Ils ont construit la pièce en peaufinant chaque scène au fil du temps tout en conservant une certaine souplesse pour moduler chaque représentation. Les dramaturges ont travaillé avec chacun des enfants afin de leur offrir une expérience positive en mettant l’accent sur leurs forces pour créer une synergie entre les acteurs.
« Notre désir, c’est de faire ressentir [aux enfants] qu’ils appartiennent à un groupe, qu’ils racontent une histoire ensemble. Il y a une énergie collective. » -Évelyne de la Chenelière
La complicité dans l’équipe transparait autant par la fluidité des répliques sur scène que par la sincérité avec laquelle les enfants s’expriment une fois sortis de leur rôle. Un climat de confiance règne et cela se ressent dans la performance des plus jeunes. L’apprentissage du sixième art se fait dans un contexte souple, centré sur la collaboration, et la préparation s’avère la clé pour performer avec assurance devant une salle comble.
« Il faut faire confiance au processus. Il y a beaucoup d’outils qui permettent de diminuer le stress et d’augmenter la confiance. » -Antonia Judith Hayward
L’atelier
Pour conclure cette soirée, Antonia Judith Hayward a laissé de côté son chapeau de coach des enfants pour devenir, l’espace d’un moment, la coach des étudiants. Ces derniers se sont mis dans la peau des acteurs en expérimentant divers ateliers que les enfants réalisent avant chaque représentation. Spontanéité, fantaisie et laisser-aller étaient au rendez-vous ! Tous les étudiants se sont prêtés à cette expérience ludique et décontractée qui a fait ressortir leur cœur d’enfant. Ces exercices libérateurs ont créé un réel sentiment de communauté entre eux, comme si le monde extérieur avait disparu pendant un bref instant.
Pour les futurs enseignants, cet atelier a certainement fait germer diverses idées novatrices pour travailler l’expression orale en classe. Selon Mme Hayward, il est essentiel de savoir ce que ressentent les jeunes afin de pouvoir les accompagner adéquatement pour qu’ils progressent et expriment leur plein potentiel. À cet âge, les enfants ont tellement de créativité qu’il faut parfois la recadrer. En vieillissant, c’est plutôt le rationnel qui tend à l’emporter sur l’imaginaire, alors il faut se pousser à retourner à cette créativité brute pour créer quelque chose de puissant et d’authentique.
C’est sur ces belles paroles que la soirée a pris fin. Tout le monde est reparti le sourire aux lèvres, enchanté par cette soirée riche en plaisir et en découverte.
Crédit photos: Carolane Doyon et Myriam Pellerin
Zéro de Conduite, à l’Espace Libre jusqu’au 21 décembre 2024
Mise en scène : Jérémie Niel
Création et dramaturgie : Evelyne de la Chenelière et Jérémie Niel, avec la collaboration de l’équipe
Avec Sabri Attalah, Macha Limonchik, Gabriel-Antoine Roy, Frédérique Bossé, Sacha Bourdon, Ejan Dani, Neliyah Kamagate, Roméo Lucas et Ali Moulounda Condé