Depuis quelque temps circule en divers milieu une pétition initiée par l'Institut d'histoire de l'Amérique française (IHAF) et intitulée : " Valorisons nos diplômé. e. s ! Pour un accès élargi à la profession enseignante ". Le 21 février dernier, un reportage de Radio-Canada relayait l'info, avec le témoignage de Louise Bienvenue, professeure d'histoire à l'Université de Sherbrooke - et une des initiatrices de la pétition -, celui d'une étudiante de maitrise s'estimant incapable d'accéder à l'enseignement et celui d'un représentant d'un syndicat enseignant local se disant en faveur de la suggestion. On y déplorait la longueur de la formation actuelle menant au brevet d'enseignement au secondaire et plaidait pour le retour au certificat d'un an en éducation, comme cela était le cas avant la mise en place des baccalauréats de quatre ans au milieu des années 1990.
L'Association québécoise pour la didactique de l'histoire et de la géographie (AQDHG) salue la préoccupation de l'IHAF envers le monde de l'enseignement, et en particulier envers la pénurie d'enseignants et les voies de formation qui mènent à la profession enseignante. Toutefois, le texte d'introduction invitant à signer la pétition contient des erreurs, demi-vérités et confusions qu'il importe ici de rectifier.
Ainsi, l'introduction de la pétition affirme que, « depuis 1994, le baccalauréat de quatre années en sciences de l'éducation s'est imposé comme l'unique voie d'accès aux carrières enseignantes » et qu'il « est grand temps de diversifier les voies d'accès à l'enseignement .»
Il est difficile de croire que les auteurs de la pétition ignorent que de multiples voies d'accès au brevet d'enseignement existent en fait depuis longtemps, d'autant que le ministre a revu l'été dernier le Règlement sur les autorisations d'enseigner pour l'assouplir davantage et faciliter ainsi, pour les détenteurs d'un baccalauréat disciplinaire, l'accès aux emplois en enseignement. Le Conseil supérieur de l'éducation a même produit un avis à ce sujet. Tout cela a fait l'objet d'articles et de réactions dans les médias. Il est donc étonnant que le texte de la pétition ne mentionne aucun de ces changements. Plus loin, le texte ajoute à la confusion en contredisant son affirmation de départ : on apprend qu'il existe en fait, pour les bacheliers spécialisés en histoire et en d'autres disciplines, « une longue et onéreuse maitrise dite «qualifiante.»
Or, ces maitrises existent depuis plus de dix ans. Elles permettent à un·e bacheli·ère·er disciplinaire, souvent pendant qu'elle·il est en emploi dans une école, de faire sa formation didactique, pédagogique et pratique (stages supervisés) à l'enseignement. À temps complet, cette formation peut se réaliser en deux ans.
En outre, des " passerelles " existent depuis longtemps, vers plusieurs programmes de baccalauréat en enseignement secondaire du Québec ; elles créditent en bloc les cours disciplinaires déjà suivis à l'université et permettent de compléter en deux ou trois ans, selon le cas, une formation en éducation et le brevet. Chaque année, beaucoup de bacheliers disciplinaires s'en prévalent et deviennent enseignant·e·s.
Cela dit, les promoteurs de la pétition soulignent d'entrée de jeu que la baisse des inscriptions motive cette pétition, ce qui laisse penser que le contexte de pénurie est en fait un prétexte pour diminuer la part de la formation pédagogique et didactique des futurs enseignants du secondaire pour la ramener aux 30 crédits dont elle était constituée avant l'arrivée des baccalauréats de quatre ans.
D'ailleurs, on chercherait en vain, tant dans le texte de la pétition que dans le reportage de Radio-Canada, un début d'argumentaire rationnel et informé en faveur d'une telle proposition. Le contexte de pénurie suffit-il à justifier de diminuer la formation des enseignants ? Diminuera-t-on la formation en médecine parce qu'il existe des pénuries de médecins en région ou parce que les urgences débordent ? Au-delà de préoccupations bien compréhensibles de la part d'universitaires disciplinaires qui aimeraient que les 30 crédits en jeu reviennent dans leurs facultés, où est la démonstration que plus de crédits disciplinaires et moins de crédits en éducation forment à eux seuls de meilleurs enseignants ?
Le seul «argument» mentionné est celui de la « passion» : les bacheliers disciplinaires seraient des passionnés : cela sous-entendu-il que les bacheliers en enseignement le sont moins, voire ne le sont pas ? (Cela reste à démonter et contredit en tout cas notre expérience de formateurs.) Or, la seule passion pour la discipline est-elle garante d'une capacité à tenir et à gérer un groupe d'adolescent·e·s ? À planifier des cours motivants adaptés à chaque groupe d'élèves et tenant compte de leurs différences individuelles ? À évaluer justement les apprentissages ? À travailler avec des élèves en difficultés de comportement ou d'apprentissage ?
Le cas échéant, nous en demandons la démonstration, à l'heure où, tant de la part du milieu scolaire que de nos étudiant·e·s, la pression est forte pour augmenter plutôt la part dans la formation dévolue aux cours de gestion des comportements.
Il y a de bonnes raisons pour lesquels les baccalauréats de quatre ans se sont imposés, au milieu des années 1990 et pourquoi ils sont basés, depuis 2001, sur un aller-retour entre la formation pratique et théorique : l'enseignement étant un métier d'action qui exige de savoir agir avec efficacité dans une grande variété de situations, en classe comme en dehors de celle-ci, le milieu scolaire demandait des enseignant·e·s mieux formé·e·s à toutes ces dimensions. Il en est résulté une augmentation du nombre d'heures de stages supervisés, lesquelles passèrent alors à 700, un nombre conséquent d'heures, mais certainement pas un nombre exagéré. Cette augmentation de la portion réservée à la formation pratique explique pour une bonne partie l'augmentation des crédits en éducation.
Pour terminer, nous voulons souligner que les directions d'établissements scolaires peuvent demander au ministère de l'Éducation d'émettre une tolérance d'engagement dans toutes les situations où elles embauchent une personne non légalement qualifiée pour une tâche d'enseignement générant un contrat à temps partiel ou complet, et que cette personne a dix ans pour terminer sa formation qualifiante tout en enseignant. Les universités sont à pied d'œuvre pour préparer des projets innovants afin d'assurer la formation des personnes en exercice, et ce, sans diminuer la qualité de la formation et de la prestation de service. Dans ces conditions, nous saluons l'intérêt qu'expriment les plus de 300 signataires de la pétition envers l'enseignement de l'histoire et nous espérons que cet intérêt se manifeste lorsque des postes sont à pourvoir ou au moment des inscriptions dans les nombreux programmes de formation à l'enseignement.
Marc-André Éthier
Professeur au Département de didactique et porte-parole de l' Association québécoise pour la didactique de l'histoire et de la géographie (AQDHG)